Bucarest, l’entre deux guerres

Exposition – Photographie historique

Stand St’art d’Apollonia – Novembre 2010

Dans le cadre de : e.cité – Bucarest

Commissariat : Mihai Oroveanu


Dans les années 1940, Paul Morand publia un livre sur la capitale de la Roumanie. Le mot qu’il lança alors en parlant de Bucarest comme d’un « petit Paris » fut ensuite repris au point d’en devenir un lieu commun, que l’on cite en omettant généralement le reste de la phrase : « Bucarest, un petit Paris au milieu d’un grand village ». Née au XIXe siècle, la jeune architecture urbaine roumaine devait alors beaucoup à l’influence de l’école française. Avant même avant la guerre pour l’indépendance de 1877, des architectes français étaient venus travailler à Bucarest, à l’origine pour s’occuper de la restauration des églises médiévales ; durant la deuxième moitié du XIXe siècle, de nombreux architectes français, tels Lecomte de Noüy, Cassien Bernard, Ballu, Louis Blanc, Paul Gottereau y déployèrent une grande activité aux côtés d’une génération d’architectes roumains eux-mêmes diplômés en France, comme Berindey, Mincu, Socolescu, Cerkez, Ciortan, Stănculescu ou Ghica-Budesti. Ensemble ils marquèrent le tournant du XXe siècle par la réalisation d’importants projets architecturaux comprenant la construction de bâtiments administratifs, d’institutions publiques et de résidences privées. Après une période initiale éclectique bientôt influencée par l’esprit du style 1900 à travers de nombreux emprunts à l’architecture féodale et vernaculaire roumaine, l’architecture roumaine se teinta d’un modernisme tempéré une fois la première guerre mondiale terminée ; là encore, l’influence française se fit sentir via le style art déco, mais l’expérience du Bauhaus et plus tard – sous le règne du roi Carol II durant les années 1930 – le contact avec des exemples d’architecture fasciste, apportèrent leur propre touche. C’est durant ces années économiquement fastes pour la Roumanie que Bucarest devint une ville moderne, parsemée de vastes jardins d’exposition, d’amples aménagements sportifs, de quartiers d’habitations standard pour ouvriers ou fonctionnaires. Sur une très brève période, la Roumanie, et Bucarest en particulier, accueillit un certain nombre d’architectes liés à l’avant-garde internationale, comme Marcel Janco, l’un des fondateurs du mouvement Dada. Dans leur sillage, des architectes roumains comme Horia Creangă, Duiliu Marcu ou Octav Doicescu tracèrent les grandes lignes du modernisme roumain, qui allait produire une diversification importante des solutions architecturales pour les résidences privées, mais aussi pour les constructions industrielles.

Les photographies présentées dans cette exposition n’ont pas d’auteur. Il s’agit du tirage contemporain d’un certain nombre de clichés-verre 13×18 trouvés par hasard, essentiellement à caractère documentaire, qui suggèrent en filigrane la volonté du photographe de fournir une information aussi complète que possible sur une ville qui ne put véritablement se développer en toute liberté que durant les quelques décennies qui précédèrent la seconde guerre mondiale. Bucarest allait ensuite être durement atteinte par les bombardements, avant d’être soumise à des décisions politiques qui changèrent radicalement son caractère d’un point de vue social, culturel et esthétique. La ville d’avant-guerre jouissait d’un certain équilibre, très probablement non prémédité, qui donnait une sorte d’unité à une ville très hétéroclite, cosmopolite, émaillée de nombreux espaces verts, souvent exotique par ses contrastes, amusante par la diversité de ses choix architecturaux souvent faits à la hâte pour satisfaire la vanité de tel ou tel propriétaire. Durant la période communiste en revanche, la ville changea du tout au tout sous l’effet de décisions politiques qui ne prêtent pas à discussion : démolitions arbitraires, édification monotone de grands bâtiments identiques, pure expression d’une déplorable démagogie national-communiste. Ce furent alors surtout des habitations individuelles qui en subirent les conséquences, disparaissant sur une surface grande comme deux arrondissements parisiens avec une absence totale d’intérêt pour la préservation du patrimoine architectural. Cette situation à part fait aujourd’hui de Bucarest une ville à plusieurs strates, caractérisées par des charges esthétiques, culturelles et spirituelles, pour ainsi dire, très variables. L’une de ces strates correspond à l’entre-deux-guerres ; la période communiste en forme une autre, précaire du point de vue esthétique, grandiloquente et difficilement utilisable ; la strate la plus récente est marquée par un capitalisme sauvage largement indifférent à l’histoire, manifestement obsédé par les spéculations commerciales, qui ne se soumet à aucune règle et qui est en train de produire une situation promise à devenir très bientôt difficile à gérer.

Cette exposition n’a pas – loin de là – la prétention de montrer la ville dans toute sa complexité ; elle se limite à un moment important de son développement, sur lequel on espère attirer l’attention. Elle pourrait être comprise comme une invitation à voir tout cela sur place.

Mihai Oroveanu