Petites histoires

Regards Projetés – Slovaquie

exposition

Du 22 octobre au 26 novembre 2008

Espace apollonia, Strasbourg

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Artistes : Anetta Mona Chisa et Lucia Tkacova / Pavlina Fichta Cierna / Anton Cierny / Anna Daucikova / Eva Filova / KassaBoys (Radovan Cerevka,Tomas Makara, Peter Vrabel) / Kunst – Fa (Gabriela Binderova et Erik Binder) / Peter Meluzin / Miroslav Nicz / Peter Ronai / Jana Zelibska

Dossier de presse 

Partenaires 


À la différence des années 90, où l’on vit régner dans les médias vidéo slovaques, des installations vidéo et des objets vidéo larges et généreux, lépoque actuelle favorise les vidéos autonomes (1). Elles disposent d´un caractère visuel et de moyens d’expression différents, et revendiquent de nouvelles formes de lecture, d’interprétation. Par ce fait, elles imposent au lecteur de nouvelles exigences. Si les  installations vidéo / objets vidéo, en tant que médias spatiaux, intègrent une part d’enregistrements vidéo basés à la fois sur des systèmes de symboles sophistiqués, sur la nécessité de rechercher de nouveaux contextes et sur le choix de l’inter-textuel au détriment d’une narration simple – les vidéos autonomes actuelles reviennent, par un certain détour, à la narration. Ce phénomène découle de l’axiome fondamental de la vidéo – un média variable dans le temps. Par ailleurs, ce phénomène est généré par l’aspiration de l’artiste à exprimer de façon convaincante et authentique sa vision du monde, à travers un média transparent, qui rend visible  sa participation (de l’artiste) à l’œuvre. Le signe majeur de la prédominance actuelle des vidéo autonomes est leur proximité avec les codes visuels de la société et les technologies nouvelles.

L’écoulement des images sous la forme du temps technologique (2), et davantage encore du temps subjectif, participe à la typologie de la vidéo. Le temps subjectif, même directement déterminé par les technologies est manifestement l’affaire individuelle du vidéaste : il lui permet d’appliquer ces procédés selon sa propre clé. L’image mobile et l’écoulement dans le temps constituent une plate-forme ouverte pour imposer ce que les autres médias, dans l’art actuel, ne permettent que sous une forme latente : la narration. Par essence, la vidéo la contient, même si celle-ci se démarque alors de ses formes linéaires simples : soit par le montage, qui opère le découpage de l’action en laps de temps suivant l’intention de l’auteur, soit par l’utilisation des procédés expérimentaux, où  la narration linéaire est simplement niée, soit encore par des travaux de post-production (3).

Par leur travail sur l’image vidéo, les vidéastes se sont démarqués du septième art, tout en utilisant les mêmes moyens d’expressions : le détail, le montage, etc.  L’art de l’image devient le champ où peuvent s’allier des procédés propres à d’autres médias, comme par exemple la composition et l’écriture de la prise / image, ou l’utilisation de la lumière comme élément de modelage. Dans ce contexte, l’image numérique, qui se prête mieux que tout aux paramètres 3D (4), ouvre la voie à une nouvelle application des stratégies de l’art  plastique.

Au delà de la diversité de leur typologie, de la morphologie utilisée, des procédés et finalement aussi des thèmes, les vidéos autonomes slovaques de ces dix dernières années, ont bien toutes ce trait en commun – la narration. Sa présence découle de l’aspiration naturelle des auteurs à refléter et à dévoiler les expériences personnelles  de la vie, par un média qui permet de transformer le privé en public – un média donc très accessible, et surtout, elle est, par sa nature, proche de l’individu de la société médiatique. La lisibilité de la narration et, par la suite, son interprétation, est influencée par la forme de la réalisation choisie par l’auteur. Souvent les auteurs eux-mêmes sont acteurs de leurs récits vidéo, dans des situations fictives ou réelles, en référence à l’art de l’action. De même, certaines vidéos capturent des personnes réelles, soit selon un scénario déterminé à l’avance, soit à leur insu, dans une perspective quasi voyeuriste. De nombreuses vidéos actuelles s’apparentent d’ailleurs au cinéma documentaire, avec cette différence que les auteurs y sont beaucoup plus libres. Ils dévoilent plusieurs couches du récit et se focalisent sur les détails.

Un chapitre particulier pourrait être consacré aux vidéos créées sur la base de l’appropriation (5) , procédé qui consiste pour l’auteur à s’attribuer des enregistrements déjà existants pour les transformer par la suite, souvent en combinaison avec son propre matériel. Par ailleurs, les artistes ne renoncent pas à l’utilisation de symboles, de signes, ni à l’expression métaphorique.
La narration comme forme d’expression, que les vidéos autonomes slovaques intègrent à nouveau dans les arts plastiques, change considérablement leurs capacités d’articulation. De ce fait, elle devient pour les auteurs le meilleur moyen de réagir de façon créative aux réalités de la vie quotidienne. Comme de nombreux thèmes touchent aussi aux phénomènes négatifs de la vie, l’efficacité de la narration  repose sur l’utilisation d’une approche critique, notamment à travers l’hyperbole, l’auto dérision et la remise en cause. Les thèmes les plus fréquents, déterminés par les aspects actuels de l’individu et de la société, sont l’origine, l’identité, la subjectivité sexuelle, le physique, ce qui contribue à la redécouverte de la figuration. En même temps, la narration est une plateforme efficace pour réagir à la situation sociale et politique, au rapport et à la frontière entre l’espace privé et public. Elle devient aussi le lieu d’expression de sujets liés à la vie urbaine, le style de vie, l’influence du commercial, la publicité et l’existence du monde médiatique virtuel.

Dans l’art vidéo slovaque, l’approche des questions du corps, de la sexualité, et les problématiques de l’origine sont liées à la remise en question des catégories de l’art féministe. Mais elles se basent aussi sur l’aspiration à  une élaboration individuelle du genre. Jana Želibská (1941) a consacré de longues années à l’exploration de ce domaine. Elle s’est basée sur une relativisation des schémas dans la perception des femmes. Sa poésie est particulièrement lisible dans les vidéos représentant des adolescentes, où elle s’efforce de relater la transformation paradoxale de l’adolescente vers l’identité corporelle et mentale d´une femme adulte. Dans sa représentation des péripéties des femmes pour atteindre à un idéal de beauté à l’aide de pratiques alimentaires agressives, elle utilise une articulation expressive. Ses vidéos sont caractérisées par le subversif, perceptible dans l´appropriation d´un regard masculin posé sur le corps de la femme.

Anna Daučíková (1950) dispose de formes de narration encore plus radicales. Par un langage plastique empruntant à l´art queer (6) , elle affirme que la perception de la sexualité résulte du réglage mental du spectateur (7). Par une utilisation ingénieuse du symbolisme polysémique, elle dévoile sa propre vision des rapports hétérosexuels et lesbiens, tout en cherchant délibérément à solliciter les associations érotiques du spectateur.
La création vidéo d’
Eva Filová (1968) est caractérisée par un fort engagement. L’auteur n’éprouve aucune timidité à exprimer une opinion provocante sur le droit à l’avortement, en réaction à la collusion de la législation slovaque avec les positions  de l’Église catholique. Elle travaille ainsi à la destruction subversive des stéréotypes originaires, toujours persistants dans les traditions populaires slovaques.

C’est en maniant l’auto dérision qu’Anetta Mona Chisa (1974) et Lucia Tkáčová (1977) formulent les aspects de la vie d’une femme artiste dans les structures d’une société plastique. En même temps, elle s’approprient le langage des hommes à l’adresse des femmes. Les conversations vidéo « dialectiques » sur les (in)suffisances physiques des hommes, aussi banales qu’elles paraissent, nous tend un miroir toujours pertinent, que ces propos émanent de plasticiens, de commissaires, ou de leaders politiques…

La réflexion sur l’espace privé, souvent en opposition avec l’espace public, est une autre constante de l´art vidéo slovaque. L’intérêt porté par les artistes à ce sujet découle de la nécessité de répondre aux questions du quotidien, qu’il s’agisse des propres expériences du plasticien ou d’un individu marginalisé par la société. Par ce fait, la vidéo constitue un moyen unique pour poser la question de la différence.
Dans ses vidéos réalistes, Pavlína Fichta Čierna (1967) capte les histoires des autres. Elle envisage avec empathie  les acteurs de la vie marginale, loin des modèles traditionnels. De cette façon, elle aborde de manière indirecte la réalité des structures sociales. Elle n’hésite pas à traiter des thèmes sensibles, tels que le sort d’individus mentalement handicapés ou de femmes surmontant un lourd traumatisme. Ses vidéo sont proches d´un cinéma documentaire, mais elles sont bâties sur davantage de détails, d’élaborations dans le montage et la prise de vue.

Miroslav Nicz (1963) aborde, de façon semblable, une problématique plus grave encore : l’absence de mémoire collective, la perte de la vie privée. Actuellement, une partie importante de sa création utilise des archives personnelles (anciennes photos) sous une forme numérisée, apportant aux vastes installations et projections vidéo une combinaison d’éléments de temps – la rencontre entre le passé et le présent.
La création de
Peter Meluzin (1947) a été influencée par sa formation de sociologue. Il étudie l’espace social intérieur et extérieur dans son influence sur l’homme, en particulier dans la culture unique (mainstream) produite par la télévision. Dans ses installations vidéo au contenu narratif, il attire l’attention sur une vie apparemment normale, mais toute tournée vers la consommation. Le temps, lié à la conception de la mort et de la vie, mais aussi de la mémoire, est un élément de construction important dans l’œuvre de l’artiste. L’utilisation de cette dimension lui permet de poser des questions existentielles.
Les vidéos de
Peter Rónai (1953), précurseur de l’art multimédia slovaque, ne représentent qu’une petite part de sa production artistique, mais ce sont elles qui ont fondé la stratégie de l’appropriation dans l’art vidéo. La création de vidéos avec le système found footage, où des séquences de films parfois mondialement connus sont introduites dans un nouveau contexte, traduit une aspiration à poser un regard ironique sur les valeurs douteuses proposées par la pseudo-culture actuelle.
La création de l‘entité artistique
Kunst–Fa (Kunst Family) – par le couple de plasticiens  Gabriela Binderová (1975) et Erik Binder (1974) touche la problématique du quotidien, toutefois à un niveau considérablement plus léger. Une partie de leurs travaux illustre le courant de l’art conjugal. Les vidéos d’Erik Binder constituent un chapitre particulier de sa création universelle : des produits ready-made, nés de la sélection, du remixage et du recyclage. Elles sont bâties à la fois sur le principe d’un jeu comme moyen de communication et en même temps sous la forme d’un exercice, qui selon l’auteur est un modèle universel de créativité. Les vidéos de Gabriela Binderová aborde la problématique du genre, mais elle commente aussi avec affection et ironie les problèmes qu’elle rencontre en tant qu’épouse, mère et plasticienne.

L’art vidéo slovaque est devenu le lieu d’expression des réactions aux  phénomènes politiques et sociaux négatifs, c’est le cas pour les auteurs de la tendance critique et activiste. Eva Filová, par exemple, adopte des positions radicales sur l’immobilisme politique. Dans un langage à forte connotation sexuelle,  elle s’exprime vigoureusement sur la répartition du spectre politique entre coalition gouvernementale et opposition.
Anton Čierny (1963) est un vidéaste sensible aux réalités sociologiques ; il base son travail sur des enregistrements d’événements et de manifestations politiques. Il s’intéresse aux identités individuelle, communautaire et nationale. Dans ses dernières vidéos,  il s’intéresse à l’homme ordinaire dans une Europe en voie de transformation. Il y traite des aspects multiculturels et de l’impact du déplacement récent de la frontière de l’espace Schengen sur la vie des gens. Il aborde aussi la problématique de la mémoire collective, liée à l’histoire des Slovaques, et en particulier des activités du président de l’État slovaque qui, jusqu’à ce jour, n’ont pas été évaluées de façon objective.
Anetta Mona Chisa et Lucia Tkáčová adoptent un ton plus léger mais tout aussi subversif, sur les héritages de l´idéologie matérialiste.

Une part intéressante de l’art vidéo questionne le statut de l’artiste. Les auteurs réagissent aux clichés ordinaires de la société dans sa perception de l’artiste. Les jeunes auteurs du groupe Kassa Boys, Radovan Čerevka (1980), Tomáš Makara (1982) et Peter Vrábeľ (1982) renvoient à leurs activités « d’outsiders » et par exemple, dans un registre comique, ils utilisent l’indicatif d’une émission d´information pour relater l’histoire « romantico-tragique » d’un jeune artiste de la périphérie.
Le patriotisme de clocher est, pour eux, aussi vrai que le modèle centraliste traditionnel . Leurs vidéos offrent de courts métrages sur l’activité plastique dans l’Est de la Slovaquie, tout en revendiquant leur propre autonomie plastique. En dehors de leurs travaux présentés sous le label « Kassa Boys« , chaque membre a son propre programme d’auteur, dont l’éventail thématique est plus large, mais qui ont en commun un fort accent activiste. Le duo d’auteurs Anetta Mona Chisa et Lucia Tkáčová traite de la même problématique – ils démasquent et ridiculisent les aspirations des artistes plasticiens de l´ex-bloc de l´Est à percer dans le grand monde artistique occidental et son marché.

Mira Putišová

Notes:
1. Katarína Rusnáková définit le terme vidéos autonomes comme “bandes à canal unique dont la partie principale est une image électronique projeté à l´aide d´un lecteur vidéo sur un écran de télévision“. In: Rusnáková, Katarína : História a teória mediálneho umenia na Slovensku, Vysoká škola výtvarných umení v Bratislave, 2006, s.113. (Rusnáková, Katarína : Histoire et théorie de l´art médiatique en Slovaquie, École supérieure des Beaux-arts à Bratislava, 2006, p. 113).
Vu les innovations récentes dans le domaine technique et technologique, cette catégorie peut être élargie aux enregistrements numériques (lecteurs DVD, projecteurs data, etc…)
2. Rusnáková, Katarína : História a teória mediálneho umenia na Slovensku, Vysoká škola výtvarných umení v Bratislave, 2006, s.87.
3. La post-production est entendue comme „utilisation d’œuvres ou de produits culturels réalisées par d’autres artistes“; également dans le domaine du film et de la vidéo. Bourriaud: Postprodukce, Praha, Tranzit, 2004, s. 3 ; (Bourriaud, Nicolas : Post-production, Prague, Tranzit, 2004, p.3). In: Rusnáková, Katarína: História a teória mediálneho umenia na Slovensku, Vysoká škola výtvarných umení v Bratislave, 2006, s. 65.
4. Rusnáková, Katarína : (ed): V toku pohyblivých obrazov, Vysoká škola výtvarných umení v Bratislave, 2005, s.26 ; (Rusnáková, Katarína : Dans le flux des images mouvantes, École supérieure des Beaux-arts à Bratislava, 2006, p. 26).
5. L´appropriation en art vidéo est couramment désignée par le terme « found footage » (métrage trouvé) et est équivalent à « ready–made ».  Rusnáková, Katarína :  (ed): V toku pohyblivých obrazov, Vysoká škola výtvarných umení v Bratislave, 2005, s. 39, aussi: Rusnáková, Katarína : História a teória mediálneho umenia na Slovensku, Vysoká škola výtvarných umení v Bratislave, 2006, s.181.
6. Le terme queer désigne une personne « aspirant à se détacher des catégories d´identité et acceptant une sexualité variable et sans frontières.“ Rupp : Vytoužená minulost. Dejiny lásky a sexuality mezi osobami stejného pohlaví v Americe od příchodu Evropanu po současnost. Marie Chřibková, nakladatelství a vydavatelství One Woman Press, 2001, s. 244-245. In : Rusnáková, Katarína : História a teória mediálneho umenia na Slovensku, Vysoká škola výtvarných umení v Bratislave, 2006, s. 126. (Rupp, Leila : Le passé convoité. Histoire de l´amour et de la sexualité entre personnes du même sexe en Amérique depuis la venue des Européens jusqu´à présent. Marie Chřibková, maison d´éditions One Woman Press, 2001, p. 244 – 245. In: Rusnáková, Katarína : Histoire et théorie de l´art médiatique en Slovaquie, École supérieure des Beaux-arts à Bratislava, 2006, p 126.)
7. Vaškovičová, Hana: « Inbetween (Alterita a identita). Rozhovor s Annou Daučíkovou. (« Inbetween (Altérité et identité) ». Entretien avec  Anna Daučíková). In: Profil, année. 7, 2000, N° 2 – 3, p. 125, In: Rusnáková, Katarína : História a teória mediálneho umenia na Slovensku, Vysoká škola výtvarných umení v Bratislave, 2006, s.129.

Peter RONAI Copy to Ergo Kunst, 2005
Peter RONAI « Copy to – Ergo Kunst », 2005