Résidence de Mathieu Boisadan et François Génot

Résidences

novembre – décembre 2009

Banja Luka, Bosnie-Herzégovine

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Mathieu Boisadan

L’idée de départ est un souhait des deux artistes de voyager autour d’un projet commun, un temps d’échange et de réflexion vers de nouveaux horizons.

Leur rencontre avec apollonia, spécialisé dans les échanges européens, a donné lieu au montage du projet en collaboration avec le musée…

L’objectif est de permettre à ces deux artistes de s’extraire de l’atelier et de mettre en commun la phase de gestation de leur pratique. Mais aussi de se risquer à imaginer un projet en marge de leurs pratiques habituelles, voire de travailler ensemble.

Il s’agit de se distancer d’un “contexte de travail” local, et de se confronter à un territoire aux paysages et aux habitants inconnus pour enfin tenter de trouver une résonance à leur travaux et permettre de nouvelles pistes de réflexions.

A ceci s’ajoute l’implication des deux artistes allemands lors de l’exposition au musée national de Banja Luka et du soutien du Goethe Institute qui annonce des possibilités ambitieuse à une dynamique artistique sans frontières…

Déroulement en deux phases :

Bosnie, 2009

Résidence de 21 jours à Banja Luka

Exposition d’œuvres existantes en fin de séjour au Musée d’Art Contemporain de la République Serbe de Bosnie, Banja Luka

France, 2010

Production d’œuvres suite à la résidence

Exposition des pièces ainsi créées à l’espace apollonia, Strasbourg

Publication d’une édition comme synthèse du projet


ENTRETIEN

Entre novembre et décembre 2009, vous avez participé au projet « l’art et son (ses) contexte(s) », piloté par l’institut français en Bosnie-Herzégovine, le Goethe institut en Bosnie- Herzégovine et le musée d’art contemporain de la république serbe. Cela vous a permis de passer 3 semaines en résidence à Banja Luka, capitale de la république serbe de Bosnie. Comment s’est concrètement déroulée cette résidence ? Quelles étaient les attentes des instigateurs du projet ?

François Génot : – Le projet est simple, passer 3 semaines dans la ville de Banja Luka et ses alentours, adopter une attitude de recherche et de création propre aux résidences, et déboucher sur  une exposition collective. Il s’agissait aussi de cohabiter avec trois autres artistes allemands et français.

Mathieu Boisadan : – La résidence fut très rapide. Il y a eu un premier moment de rencontre avec le pays et les protagonistes du projet. La mort de Pavle 1er, patriarche serbe de l’Eglise orthodoxe Serbe a retardé le démarrage de la résidence. Un jour de deuil national a été proclamé en Republica Serbska (RS) et ce jour chômé précédait d’un jour celui de la fête nationale de la RS. Arrivés le mercredi, nous n’avons pu entreprendre notre travail que le lundi avec nos collaborateurs du musée. Heureusement, nous avons rencontré la commissaire de l’exposition Dunja Blazevic durant cette période. Pour elle, tout était envisageable. Dans les faits, les choses ont été bien différentes…

Ensuite, nous avons dû réfléchir à notre place dans le musée devenu notre atelier, nous avons choisi les murs sur lesquels nous allions travailler, nous devions penser l’espace à quatre. Enfin il y a eu la phase de ‘’réalisation’’. Pour François et moi, le voyage entre Banja Luka et Jajce fut fondateur. Pour le travail, le musée était ouvert et gardé jour et nuit, tout le staff était là pour répondre à nos besoins, les moyens étaient développés, les conditions de travail étaient très bonnes.

Concrètement, les responsables du projet voulaient que ça aboutisse. Dans les premiers temps, voyant nos inquiétudes (3 semaines pour réaliser une exposition), ils ont même émis l’hypothèse de repousser le début de l’expo. Ce rapprochement artistique et politique de la RS et de la Fédération de Bosnie-Herzégovine était très important pour tous. Banja Luka et Sarajevo voulaient bien faire…avec le symbole fort de voir des artistes français et allemands travailler ensemble en Bosnie-Herzégovine.

F.G : – Il est intéressant de noter l’aspect politique de ce type de projet où tout le monde met en avant ses intérêts. L’Institut culturel français à Sarajevo avait l’intention de mettre en place des résidences (en relation avec la galerie Duplex et le SCCA), l’Institut Goethe à Sarajevo voulait lui aussi initier un programme de résidences et d’échanges artistiques dans le but de créer des rapprochements entre les régions serbes, croates et musulmanes. Le musée de Banja Luka avait l’intention de mettre en place des résidences faisant venir des artistes étrangers en Republica Serbska afin d’y porter un regard. Un financement franco-allemand du fond Elysée a rapproché l’Institut français et l’Institut Goethe, puis de fait se sont mis en relation avec Banja Luka (relation déjà entamée avec un prix national Zvono entre le SCCA de Dunja Blazevic à Sarajevo et le MSURS à Banja Luka). Au final c’est un projet commun qui en résulte. Quand les enjeux géopolitiques et diplomatiques s’acoquinent avec la culture… L’équilibre s’est avéré précaire pour peu que l’on ait, par certains travaux, révélé des problèmes relationnels locaux.

Dans cette résidence, vous arrivez chacun avec une approche personnelle, votre propre regard sur les choses. Vous étiez en résidence avec deux artistes allemands, Felix Baltzer et Andrea Diefenbach. Comment se sont passés les échanges au sein de ce petit groupe d’artistes, d’une part entre vous deux, et d’autre part, avec les artistes allemands ?  Dans quelle mesure le travail de chacun a-t-il influencé la production de l’autre ? Peut-on d’ailleurs parler d’influence ? ou plutôt de correspondances ? de mise en tension ?

M.B : – Je ne parle pas allemand, François un peu. Mon anglais n’est pas terrible mais ce fût notre langue pour communiquer. Entre nous quatre les échanges ont été très variables.

François et moi pensions échanger plus que ce que nous avons échangé mais il fallait faire vite, épouser les travaux de tous… Nous avions le musée comme espace d’exposition. Nous, moi et François, avions envisagé un travail commun mais les deux artistes allemands n’avaient pas l’intention de travailler ensemble. Pour réaliser une belle exposition, nous devions tous être au diapason. So ! Un travail commun là, à côté, aurait été trop curieux, isolé, inapproprié. Dans cette dynamique, nous avons décidé de laisser tomber.

F.G : – Le temps était court, des rapprochements par affinités se sont opérés, le tout dans une ambiance conviviale. Nous avons notamment développé la scénographie de l’exposition ensemble et régulièrement évoqué les forces et faiblesses de nos recherches respectives.

M.B : – Entre moi et Andréa, une vraie complicité est née. Une correspondance de travail ou plutôt une sensibilité partagée. Paysage / intimité / photojournalisme… Elle me sollicitait sur le choix de ses photos, sur le cadrage, sur son propos. De mon côté, je lui montrais mes photos, mes Polaroïds et lui demandais conseils.

F.G : – Il y a systématiquement des passerelles qui s’opèrent, même inconscientes, il y a des concordances, des influences et des tensions ; par exemple : la question du paysage a été approchée par les 4 artistes. La pratique de la photographie est devenue primordiale… Notons qu’au départ nos pratiques et nos approches étaient relativement différentes et donc parfaitement complémentaires dans un projet d’exposition collective.

M.B : –  Il y a eu une forme d’influence ; mais dans l’ensemble la tension et l’influence manquaient. Il aurait fallu une force commune pour nous réunir…

Toute expérience de résidence implique le développement d’une dimension d’accueil et la construction réciproque d’un lien. La rencontre avec ce lieu, les habitants, la culture a-t-elle été facile ? Connaissiez-vous la Bosnie-Herzégovine ? Vous êtes vous préparés en amont pour cette résidence ou avez-vous pris le parti d’une découverte totale, d’une confrontation encore dans l’éveil ?

F.G : – Pour ma part j’ai décidé en amont de venir les mains vides à Banja Luka (l’esprit lui l’est difficilement).

M.B : – Oui, avec François, nous sommes partis assez nus en Bosnie-Herzégovine, seulement avec deux trois notions de l’histoire contemporaine… Nous voulions sentir spontanément l’esprit du pays. Pays dur, abîmé, malade de sa diversité…

F.G : – Je voulais me laisser le champ libre pendant ce mois et m’immerger dans un contexte inconnu jusqu’alors ! Je ne savais rien du passé (à part qu’il y avait eu la guerre) et de la situation géopolitique du pays, très peu d’idées sur la typologie des paysages. Très vite concentré sur mes recherches en relation avec le paysage, j’ai été amené à découvrir l’histoire du pays, la guerre, les réorganisations des frontières, les champs de mines…

Les gens m’apparaissaient à première vue très avenants et ouverts d’esprit. Puis une visite au grand marché de la ville m’a montré que l’histoire n’était pas scellée. J’y ai vu la pauvreté des gens du quotidien et j’ai commencé à dialoguer avec des personnes d’origines et d’opinions différentes. Un week-end de pause en France, quelques lectures plus tard, je suis revenu avec un regard beaucoup plus critique et lucide sur le présent du pays. Et peut-être est-ce à ce moment-là que mon travail et mes réflexions se sont construits plus clairement. Mon regard naïf, rêveur et sensible s’est nourri d’une conscience politique et critique. Je me suis aperçu des tensions sous-jacentes permanentes et du nationalisme qui animait beaucoup de personnes.

M.B : – Je connais un peu les pays de l’ancien bloc soviétique, je suis allé en résidence un mois à Katowice en Pologne l’année dernière, une dizaine de jours à Moscou pour une exposition, la Bulgarie… J’ai déjà été un peu confronté à cette réalité de l’Après Bloc mais je n’étais jamais allé dans un pays qui, en plus de ce passé, est dans un contexte d’après guerre civile. Le pays, le lieu, les habitants… la société est baignée dans une atmosphère de méfiance et de repli sur soi. On en a tous subis les conséquences ; impossibilité de travailler sur les choses qui fâchent comme la guerre, les ethnies, le nationalisme… et qui sommes-nous pour découvrir tout ça…?

Vous êtes restés trois semaines en résidence et avez travaillé à des œuvres individuelles sur le thème «  l’art et son contexte ». Le 10 décembre, vous avez exposé le fruit de vos recherches au musée d’art contemporain de Banja Luka. Quelle a été la réception de votre travail par le public ?

M.B : – Durant le vernissage, il était difficile de comprendre les réactions des spectateurs et nous n’avons pas eu l’opportunité d’aller seuls dans l’exposition pour voir et sentir les réactions de spectateurs solitaires et en dehors de l’ambiance vernissage… Et puis, dans notre situation d’artistes étrangers où le projet doit tenir coûte que coûte, il est difficile de savoir ce que valent les commentaires… La réception de notre travail paraissait bonne. Nos partenaires étaient heureux de l’événement et de notre point de vue nous étions plutôt satisfaits de nos résultats, tout en les lisant à travers le prisme de la rapidité d’exécution inhérent à une résidence de 3 semaines…

F.G : – Pour le musée, nous avions clairement compris leurs attentes, sous couvert de la thématique, à savoir une vision enjolivée de la ville et de son contexte. Ce qui n’était pas toujours notre manière de travailler. De mon coté je ne cherche pas, a priori, à entacher un contexte par l’intermédiaire de  mes œuvres mais plutôt à contextualiser mes recherches habituelles suivant une problématique globale. Certaines œuvres ont pu soulever des réactions plus vives, bien que dans l’ensemble j’ai pu avoir de très bons retours.

Lors de cette résidence, vous avez été confronté à une culture, un environnement, un territoire nouveau. Cette installation temporaire vous a t-elle permis de saisir certains enjeux de la société serbe ? Avez-vous eu le temps de vous imprégner d’une ambiance, de saisir quelque chose dans l’air de Banja Luka ? Une dynamique ? Quelque chose qui se trame dans le paysage local ?

F.G : – Cette petite ville qui désormais est la « référente » de la partie Serbe de Bosnie, revendique réellement son statut de deuxième capitale à côté de Sarajevo ; une manière de renforcer l’idée d’une appartenance serbe. Ce qui débouche sur des aménagements « tape à l’œil » : d’importants projets immobiliers, la ville s’est considérablement développée depuis la guerre (bien qu’elle n’ait pas été touchée) des immeubles de banques étrangères flambant neufs et d’autres signes ostentatoires de développements rapides. Les immeubles sont rehaussés d’étages supplémentaires, on essaye de rendre la ville attractive sur le plan touristique en y organisant des manifestations internationales, des événements culturels souvent en doublon avec Sarajevo, une apparente organisation à l’occidentale s’expose dans les rues commerçantes… Mais on occulte complètement les problèmes de pauvreté. On héberge des criminels de guerre, et on occulte les conflits ethniques. Chose paradoxale, les gens semblent aspirer à un système à l’occidentale, mais semblent arrêter leur réflexion aux frontières.

M.B : – La Bosnie-Herzégovine est un état tampon sans forme où les accords de Dayton obligent ses citoyens à vivre «en intelligence» mais où les capitales respectives sont redoutées et méconnues par les deux parties. L’anecdote qui résume ce problème est celui du match de football opposant la Bosnie-Herzégovine au Portugal, à Zenica en Fédération la veille de notre arrivée. Les serbes de Bosnie nous ont avoué qu’ils se moquaient éperdument de ce résultat puisqu’ils ne s’identifiaient pas à la Bosnie. Ils étaient plus intéressés par les résultats de la Serbie où celui de la France avec la main de Henry.

Il y a une véritable envie de s’identifier ‘’autre’’; en RS tout est écrit en cyrillique alors que la Fédération utilise l’alphabet latin, ils n’ont pas le même jour national, les serbes de Bosnie témoignent d’une forme d’incompréhension à propos de l’arrestation de Karadzic, premier président de la RS,  et certains n’hésitent pas à remettre en cause le tribunal de la Haye…

Dans ce contexte, l’atmosphère est lourde, pénible, corrompue… Pourtant, des individus semblent vouloir franchir ses limites et vivre autre chose mais les préjugés semblent être particulièrement hargneux. Banja Luka ressemble à un marié forcé de se remarier avec la même mariée alors qu’ils sortent du plus violent des divorces.

Le concept même de résidence et plus fortement une résidence ayant pour mot d’ordre « l’art et son (ses) contexte(s) » prend position contre l’idée moderniste qui considère l’œuvre comme pure forme autonome affranchie de ses contextes de création, de réception et de présentation. Que signifie pour vous le fait de participer à un tel projet ? Est-ce un parti pris qui trouve une résonance dans votre approche de l’art, comme une conviction, un engagement en filigrane ?

M.B : – Dans mon travail, comme l’a radicalement conceptualisé Nietzsche, la pensée dépend complètement de la contingence du réel. Mon corps, mon état d’esprit, le climat, le territoire… sont autant de données qui façonnent mon travail. Evidemment cette pensée est un peu «tarte à la crème» puisque l’individu lit avant tout le monde avec ses structures psychologiques propres mais malgré tout  l’environnement accidente la pensée et le travail. C’était le cas à Banja Luka. Là-bas, comment ne pas penser à la guerre ? Comment ne pas penser aux problèmes inhérents à la géographie, aux ethnies, à l’histoire…? Comment ne pas essayer d’analyser le problème serbe de Bosnie autrement qu’en considérant qu’ils sont responsables…?

F.G : – Beaucoup de thèmes ou titres de résidences sont des prétextes à orienter un travail mais cela intègre à chaque fois le fait que l’artiste est libre et exprime ses idées coûte que coûte.

Ce débat est ancien, mais je ne crois pas qu’on puisse travailler un mois quelque part sans être influencé par le contexte ou alors il faut être sacrément aveugle et ne pas savoir prendre de risque dans son travail d’artiste. Donc je dirais que ce titre est suffisamment générique pour que tous les acteurs restent en accord avec eux-mêmes, d’ailleurs c’est un peu cliché non ? Par contre, j’aime le principe de délocaliser régulièrement ma réflexion afin de rejouer et de nourrir mes recherches, sans toutefois les réduire à une «thématique».

Cette expérience, loin de vos habitudes de création, a-t-elle modifié votre façon de travailler et peut-être généré de nouvelles formes dans votre travail plastique ?

M.B : – Pour cet exercice, je suis le moins sûr et le moins habitué. François a déjà fait de nombreux projet de ce genre. Néanmoins, mon expérience à Banja Luka m’a fait comprendre que je pouvais réaliser vite, m’adapter et accrocher des pistes qui sortent et m’éloignent de mes territoires connus… C’est à Banja Luka que j’ai pris conscience de mon potentiel en photo, reste à défricher les problématiques conceptuelles qui me font faire de la photo…

De retour en France vous allez réaliser une pièce commune, quelles sont les difficultés rencontrées lors d’un tel projet ? Comment négocier avec l’approche artistique et le processus créatif de l’autre ? Comment mettre en œuvre, faire œuvre commune à partir d’approches forcément sensiblement différentes ? J’évoque ici autant la dimension personnelle de l’approche, l’appréhension et la compréhension du nouveau territoire que la manière de faire, de mettre en œuvre.

F.G : – Avec Mathieu, nous n’avons pas eu le temps de développer un travail collaboratif sur place. Au retour de la résidence, nous nous sommes rendu compte que nous avions de nombreuses expériences communes et des correspondances notamment dans la manière d’analyser la ville, ce « regard » photographique… C’est donc comme si nous recommencions à nouveau la résidence en la prolongeant par un travail à quatre mains et un recul critique sur nos souvenirs de voyages. Ce qui est intéressant, c’est que nous n’avons pas la même manière de travailler et des orientations conceptuelles parallèles mais pas communes. Donc il s’agit de s’extraire de sa ligne solitaire pour partager une expérience.

M.B : – Pour nous, faire une pièce à quatre mains consiste à réaliser un mélange curieux et subtil de nos savoir-faire, de nos envies, de nos émotions, de nos esthétiques… et tout cela en essayant d’aller au-delà de nos «spécialités»… Se comprendre, s’observer et se surprendre… Au-delà de la performance artistique je crois que c’est un partage camarade et fort entre deux personnes qui s’apprécient.

Cette pièce commune sera présentée lors de l’exposition en France, à apollonia, dernier volet du projet. Cette exposition qui aura lieu en juin sera l’aboutissement du projet.  Six mois se seront donc écoulés depuis votre retour de Banja Luka. Six mois loin de ce ‘contexte’, terreau de votre création, pour cette fois. Comment rendre compte lors de cette exposition, du contexte de travail, élément clé de ce projet ? Comment réactiver ce contexte, alors qu’il est de nouveau et inéluctablement ‘hors contexte’ puisque en décalage d’espace et de temps ?

F.G : – Il s’agit de prolonger l’expérience de rejouer les souvenirs pour aller vers de nouveaux territoires. Cela fait alors effectivement six mois de distance, mais ces six mois ont été faits de nouvelles expériences et surtout nous ne pouvons pas négliger le fait que cette fois nous sommes en France, autre lieu, autre public… Nous avons fait le choix de nous attacher à un instant très précis de la résidence pour lequel seuls nos souvenirs communs existaient, ni photos, ni documents.

M.B : – Cette expérience commune fut la plongée dans les gorges de la Vrbas le premier jour de notre arrivée. Le lit civilisé évoquera une petite portion de la Vrbas où s’articule des problématiques aussi différentes que la question des conflits de civilisation, de la présence permanente de la guerre bien qu’enfouies sous une nature dynamique, le croisement des cultures au creux de l’histoire ; où la géologie révèle à la fois les conflits et la richesse des croisements de civilisation.

F.G : – Cette pièce aura un caractère universel, voire fantastique, une ouverture en tous les cas. Et puis une édition, sorte de carnet de voyage, retracera les chapitres manquants depuis le commencement du projet.

L’artiste en résidence fait une expérience d’itinérance. Il consent à vivre la délocalisation de son atelier et permet la visibilité de sa démarche de création, le processus créatif étant révélé, décortiqué. Or, cette démarche de création délocalisée, déterritorialisée, doit se trouver de nouveaux repères, un point d’ancrage, dans une culture, un environnement, un territoire nouveau. Dès lors, avez-vous l’impression de mettre en jeu quelque chose ? Y’a-t-il une part de risque ?

M.B : – Avec l’expérience du travail, la délocalisation de l’atelier est de moins en moins un problème. Au contraire, ce déplacement offre de la nouveauté, de la rupture, du décalage… qui gomme une certaine pesanteur de l’habitude. Certaines choses sont effectivement un peu remises en cause. Il faut apprivoiser le changement en faisant avec de nouveaux produits, de nouveaux formats, de nouvelles astuces afin de restructurer l’espace physique et mental du travail. Cependant, les moyens financiers et techniques prennent souvent en compte ce genre d’impondérable, dès lors, je parlerais plus volontiers de déséquilibre expérimental contrôlé.

F.G : – La prise de risque est essentielle, d’ailleurs elle devrait être permanente, que se soit dans son « atelier » ou lors de déplacements, mais ce type de déterritorialisation est à mon sens une bonne source d’énergie propice à davantage de spontanéité et au déclenchement de phénomènes nouveaux de découvertes qui pourront alimenter le travail bien longtemps après la résidence.

Entretien de Mathieu Boisadan et François Génot,

réalisé à apollonia, par Hélène Minoux